DECLOISONNER LA RECHERCHE : philosophiquement votre

Un «Philosophiquement vôtre» 

Choisir de s’étonner, de cultiver des interrogations, de celles que l’on ne trouve guère dans les commentaires les plus répandus

 

 Expertises et compétences : 

Nous différencions  3  sortes d’expertises, selon 3  séries de compétences, se référant aux 3  types de langages qui structurent leur constitution ainsi que les formations professionnelles qui les produisent :

  • des théoriciens, par discours d’analyses déductives, offrent des connaissances scientifiques ; des érudits, par des narrations descriptives, proposent des savoirs qui explicitent des contextes ; enfin, des techniciens, par une parole pratique s’appliquant aux opérations sur des équipements, permettent de les expertiser. Ce qui ne s’applique pas à des « conseillers » sur des questions politiques, s’appuyant principalement sur des expériences vécues, et que les médias tendent à déclarer abusivement « experts ».
  • A partir des significations qui permettent de ne pas confondre des avis de spécialistes, formés à une discipline, avec des compétences techniques acquises qui assurent une maîtrise relative de savoir-faire, nous insistons sur l’exigence citoyenne de dissocier les aides à la décision, par une opinion autorisée et des diagnostics pratiques, de l’expertise proprement dite, telle qu’elle doit se voir reconnue et délimitée juridiquement : œuvre et aboutissement d’une équipe sur une commande formalisée par un cahier des charges, dans le cadre d’un organisme indépendant de conflits d’intérêts et de manipulations ou d’instrumentalisations politiciennes.
  • Il s’ensuit qu’invoquer un ou des « experts » est dénué de sens, puisque des individus ont à s’effacer devant des productions d’études, leurs méthodologies et la délimitation de leur pertinence. Si l’on tient à personnaliser des tâches d’éclaircissement sur des sujets de prospective, comme sur des fonctionnements d’organisations, il conviendrait de se borner à l’activité de consultant. Il est donc, d’utilité citoyenne, d’interpréter la montée en puissance médiatisée de cette profession d’experts : avec un détour par la rhétorique, la sophistique qui en découle au niveau des moyens et formes de communication médiatique. Ce qui repousse le politique vers un ghetto du symbolique, faute de s’attaquer aux racines des difficultés.

  Références théoriques : 

La rubrique invite à réintégrer, au sein des conceptions qui donnent sens aux interprétations que nous construisons sur les phénomènes de notre monde (physique, organique, humain), des outils théoriques hérités des travaux scientifiques passés. Qu’ils soient très largement gommés du paysage universitaire, n’apparaissant que très épisodiquement dans des recherches, justifie d’entreprendre une investigation sur cette anomalie dans la progression de nos connaissances.

Il suffit de comparer la situation des sciences physiques à celle des sciences biologiques et humaines : que penserait-on d’une astronomie qui se passerait de Newton, de statistiques sans Gauss, de dérivées sans Leibniz ? Pourtant, les programmes d’enseignement et de recherches en place aujourd’hui ignorent la continuité nécessaire à structurer, entre des méthodologies détentrices de crédibilité et des principes d’explications élémentaires, qui ont fondé la constitution des objets d’étude sur lesquels les hypothèses de notre temps poursuivent leurs clarifications.

Voilà pourquoi notre rubrique s’arrête sur trois réminiscences successives, nous rappelant des connaissances sur lesquelles appuyer les prolongements contemporains : éclairer mutuellement les points de vues présents par ces éclairages conceptuels antérieurs, oubliés induement, confère une profondeur de lecture renouvelée sur les contextes que nous avons à aménager, indispensable si nous tenons à ouvrir des impasses accumulées, à régler et réguler des tensions croissantes.

  • Première résurgence : revenir sur les théories structuralistes des années 1970, afin de montrer qu’elles se conjuguent fructueusement avec des orientations de recherches cognitivistes, avec des traitements systémiques d’interactions écologiques entre milieux artificiels de notre économie et ressources d’une biodiversité patrimoniale
  • Deuxième résurgence : faire retour sur les fondamentaux théoriques qui ont présidé à faire émerger les sciences biologiques (classification, darwinisme, adaptations) et les sciences humaines (division du travail, dialectiques entre situations de classe et idéologies, langages articulés et sémiologie, inconscient de refoulement, mythes et rituels culturels, entre autres). Les propriétés que nous révèlent ces formalisations de fonctionnements, ont élargi nos représentations des sociétés (quant à leurs jeux de pouvoirs et leurs moeurs), des discours, des relations interpersonnelles, comme elles ont diversifié les conceptions sur les organismes, leurs coexistences. Développées de 1840 à la fin du 19° siècle, ces naissances d’objectivations scientifiques se sont vues peu à peu dominées par une économie politique qui s’est imposée en leur lieu et place : prédominance abusive qu’il convient maintenant de rééquilibrer.
  • Une troisième résurgence ne sera que citée ici, étant reprise avec la rubrique sur « la scientificité ». Elle fait réexaminer : d’une part, le passage, aux 16° et 17° siècles, de savoirs mis au point depuis l’antiquité grecque au surgissement d’une mathématisation des raisonnements, applicable à des montages mécaniques ; d’autre part, l’émergence d’une méthode expérimentale qui a besoin d’être analysée aujourd’hui dans ses limites, pour situer les acquisitions ultérieurement obtenues.

POUR ALLER PLUS LOIN : Densité du propos et variation de registres de langages à pratiquer


  Matériel, vivant, humain : 

Ces trois réalités – matériel, vivant, humain – que nous posons pour notre part non réductibles les unes aux autres, demandent à être comprises à partir de conceptions sur la complexité.  Particulièrement, le besoin de répandre largement des conceptions appropriées, pour faire avancer une culture collective, contre des discours publics qui accumulent les contresens, motive d’approfondir deux sujets qui l’engagent directement, et conditionnent de penser avec justesse les démarcations entre matière physique, vie, êtres humains : 

  • au plan des recherches théoriques, il est nécessaire d’interroger la tendance à généraliser la perspective du cognitivisme. Utiliser des ressources créées par les sciences des réalités humaines, qui décryptent nos comportements, dégagent des structures cachées des liens entre espèces vivantes, risque de faire ressurgir les inerties d’un scientisme qui avait prétendu ramener tout phénomène à des mécanismes physiques et à des réactions chimiques, le danger actuel provenant des tentations de connecter vie et humain aux progressions dans les connaissances obtenues avec les logiques informatiques, la génétique, la biochimie, etc.
  • au plan de la prospective économique et des projections qui en découlent sous forme de programmes politiques, il est devenu urgent et crucial de reprendre rigoureusement les usages sur ce que signifie et désigne le terme galvaudé de « développement » : nous montrons en quoi des changements et des évolutions s’analysent au moyen de paramètres. En revanche, deux ruptures surviennent à propos de deux autres réalités : l’une, celle des êtres biologiques, organique, qui requiert l’appui sur des codages étrangers aux forces physiques ; l’autre, celle des êtres humains, qui complexifie les codes par des articulations du sens, ce qui instaure des relations médiatisées par certains langages, propres à des êtres qui se dotent d’une conscience de soi et d’institutions comme de rituels collectifs. Le conclusion de ce détour : le concept de développement ne peut convenir qu’à des organismes et à des œuvres de pensée, mais non à des évolutions économiques.

 POUR ALLER PLUS LOIN : De l’ignorance du sens sur le développement à l’exclusion du social dans l’environnement


  La scientificité : 

Par cette rubrique, nous invitons à transférer l’attention sur le statut accordé à des sciences : 

Sachant qu’une recherche, opérée dans le cadre d’équipes de spécialistes, organisées en laboratoires, explicitant leur méthodologie, est scientifique en vertu de ces critères et que les résultats le seront aussi, sous condition que leur publication reçoive l’agrément d’équipes homologues en charge du sujet, très spécifique, de l’étude réalisée ; pour autant, il n’est pas acquis que ces recherches s’intègrent dans « une science », qui serait pensée avec évidence. Il est encore moins immédiatement recevable que parler de « la science » renvoie à une signification rationnellement admissible : car qui déciderait de délimiter et attribuer une totalité de sujets de travaux qui formeraient ensemble « la ou les sciences » ? Et au nom de quoi serait-il à accepter qu’un tel répertoire soit complet et cohérent ?

Notre questionnement débouche sur deux développements : d’une part, ne pas mélanger pratique ou technologique avec des connaissances spéculatives ; d’autre part, respecter une frontière qui sépare des croyances ou opinions et des représentations conceptuelles :

  • Les auteurs et détenteurs de pouvoirs de normalisation : comment les situer face à des savoirs, qui déploient une logique organique par laquelle établir le vrai sur une réalité, l’objectivation de ses propriétés structurelles. En termes d’institutions d’enseignement et de recherche : droit, médecine et lettres fixent la régularité dans le traitement des possessions et échanges, de la santé, des discours ; et c’est aux sciences, et à une philosophie qui englobe l’épistémologie et son examen critique des sciences, que revient la tâche de fixer la connaissance des règles et principes organisant le fonctionnement des phénomènes existants. Savoir dépasser la confusion entre une explication et un choix sur des conflits entre intérêts et valeurs, apprend à ne pas assimiler aveuglément des controverses scientifiques sur des incertitudes, avec des polémiques passionnelles inspirées par des mobiles égoïstes et égocentriques.
  • De même, nous précisons en quoi les polémiques et les pouvoirs débattent sur des thèses, postulées en fonction d’intérêts ou d’attractions passionnelles, ou de besoins identitaires, vitales mais inaptes à énoncer des caractérisations sur leur sens et leur composition. Autres sont les hypothèses, formalisées, sur quoi il est indispensable de raisonner au-delà des contextes et désirs des interlocuteurs. Il ne suffit pas d’argumenter, par une rhétorique pouvant dériver en une sophistique portée par un désir de justification, où le motif affiché masque le mobile égocentrique : des discussions sur hypothèses se développent par déductions et démonstrations qui veillent à respecter la méthode partagée par les discutants.