Tome 0 – Extrait 9

« Le dixième projet »

Chapitre 1 : Edenia, Chemins, Fort de Mars et Grotte de la Squaw

Partie 2 -– Journée inaugurale du lundi 25 mars 2019 -et son lendemain

Extrait N° 9 : pages 325 – 327 + pages 392 – 396

« Quant aux quatre Aspirants, ils ont avancé de quelques mètres dans la large galerie repeinte à neuf du premier niveau, jusqu’à parvenir à une inscription affichée sur leur droite : « Grotte de la Squaw – Caverne des Conditionnements (Phase Préparatoire) ».

Ils ralentissent sensiblement leur avancée, car, sans transition, une lueur blafarde baigne le couloir incurvé où ils pénètrent, les contraignant à adapter leur vision après le passage intensément illuminé qu’ils viennent de quitter.

– Quel décor macabre !, s’exclame une jeune femme. Chercherait-on à nous impressionner ?

– Pourtant, ce n’est pas le but de notre parcours d’Aspirant, rétorque une autre voix féminine, plus juvénile. Le descriptif que j’ai téléchargé sur le site de « Chemins » parlait d’approfondir la réflexion par une méthode rigoureuse, pas de nous livrer à un raid aventureux…

Ils viennent, précisément, de basculer, toujours dans une semi-obscurité, dans une étrange descente, qui réclame leur concentration, ar elle ponctue sa déclivité par quelques marches, de loin en loin, taillées dans du rocher, heureusement mieux éclairées que le reste de la pente. Une troisième intervention, d’un ton amusé, émanant également d’une jeune fille, lance :

– En voici, de la profondeur ! J’ignore vers quelles sortes de pensées nos épreuves d’Aspirantes ont prévu de nous plonger, mais pour l’instant, l’introduction est plutôt spéléologique !

Par un registre de basse  aux inflexions graves, le dernier membre du quatuor, ne tenant pas à être en reste, se mêle aux remarques :

– Pour ma part, c’est mon directeur de Mémoire qui m’a recommandé cette formation originale. Il ne sait pas plus que moi ce qu’est la métaphysique, mais des collègues lui ont assuré que, pour mon sujet, cette discipline m’éclairerait…

Chacun des quatre, sans en avoir l’air, a lorgné du coin de l’œil les entrants du Fort qui ne portaient pas d’enregistreur.

Les Aspirants étaient filtrés en amont du pont qui enjambe les douves ceinturant les murailles. Ils se présentaient à un guichet situé à l’arrière de la billetterie précédant le porche imposant inséré dans l’enceinte du Fort, dressé au-delà des fossés. Comme leurs arrivées s’échelonnaient, en fonction de leurs moyens de transport, ils ne se repéraient les uns les autres qu’au moment où se déverrouillait l’accès vers le premier niveau.

Les trois femmes avaient ainsi noté la présence inattendue d’un individu noir de haute taille, réservé, qui s’appliquait à examiner les abords militaires de la fortification, évitant de se montrer curieux envers la cinquantaine de personnes qui patientaient sur le terre-plein… Il enchaîne :

– Je me nomme Horace Kodoffo et je suis étudiant en sociologie au Bénin, détaché par mon université à Arras pour mon année de maîtrise…

Il suspend sa présentation pour mieux franchir deux marches au niveau inégal, achève courtoisement :

– Si nous devons passer une bonne partie de la journée à affronter des problèmes intellectuels ardus, autant, il me semble, faire connaissance…

Cela décide les trois autres, d’autant que leur interminable progression se prolonge, les enfonce au cœur des sous-bassements mystérieux de cet édifice militaire vieux de plus d’un siècle. » […]

[…] « Khriss, Robert et Mathieu sont installés sur l’un des bancs qui bordent la succession de trois longues tables qui traversent les vingt mètres de la pièce. Leur sourire de bienvenue se double d’une nuance d’amusement lorsqu’ils surprennent le coup d’œil intrigué que les arrivants jettent au curieux bol massif de l’ancien pétrin.

Au bord du plateau en chêne qui le colmate, le four à micro-ondes leur semble également incongru.

Il sert à réchauffer les plats cuisinés en barquettes, qui garnissent un distributeur dressé au milieu du mur de gauche. A côté de lui, son jumeau aligne des casiers de sandwiches.

Enfin, sur la paroi de droite, un rangement réfrigéré présente diverses boissons ; à leur suite, des étagères grillagées sont vides, à l’exception de la première colonne, pourvue de bacs à couverts, de serviettes en papier, de tasses et de verres, d’un tas de plateaux.

Sur le mur du fond, ils distinguent une porte métallique encastrée, en arc de cercle, verrouillée. Des pelles en bois aux très longs manches, accrochées, l’encadrent.

Robert se charge de satisfaire leur curiosité :

– On est dans l’ancienne boulangerie du Fort, avec l’entrée du four, le pétrin. On l’a sommairement équipée pour notre restauration et celle des Aspirants…

– Par conséquent, invite Khriss, vous vous servez, en froid comme en réchauffé, et vous venez poser vos plateaux en face des nôtres…

Mathieu achève :

– C’est gratuit, évidemment, les distributeurs sont gardés ouverts. Un traiteur bio se charge de les approvisionner régulièrement en pizzas, salades, sandwiches, plus ses recettes mijotées… Vous avez entr’aperçu ses deux frères, dans la billetterie, en arrivant : ils charrient aliments et boissons jusqu’ici…

Vallermont, impatient de s’entretenir avec eux, abrège :

– Servez-vous, nous patientons…

A leur retour sur leur banc, Noémie, titillée par la curiosité, diffère sa deuxième bouchée de poulet grillé aux pommes dauphine :

– Les visiteurs se servent aussi, gratuitement ?

– Que nenni, la rassure Khriss, égayé. Le local reste fermé le temps des visites.

Il spécifie que seuls les administrateurs de Chemins disposent d’une clé, ainsi que les deux salariés de l’entrée, qui assurent aussi le nettoyage…

– Mais j’imagine que vous souhaiteriez plutôt nous entretenir de votre matinée, nous livrer vos impressions sur elle, non ?

Maria, croquant dans son jambon-beurre, s’est concentrée sur cette voix, dont elle se souvient confusément :

– Vous êtes Khriss, n’est-ce pas ? Celui qui a introduit les trois enjeux de nos épreuves ?

– Gagné ! Et voici Robert Vallermont, responsable du Fort de Mars, entre autres. A côté de lui se tient Mathieu Graf, qui s’occupe d’Epistemoland tout en enseignant les maths…

– A Socratine, en particulier, avoue l’intéressé. J’espère ne pas l’avoir trop déroutée en l’incitant à s’inscrire à la métaphysique !

– Déroutée et assez perturbée, bien sûr ! « Trop », c’est beaucoup dire, mais je pense traduire le sentiment général en exprimant un début de lassitude… Plutôt, disons, un besoin de souffler pour digérer tout ça…

Elle a scruté les visages autour d’elle, ayant perçu leur surprise de découvrir qu’elle fréquentait déjà un organisateur de Chemins.

Horace, renvoyé à ce qu’il retire de sa matinée, se surprend à souhaiter :

– Il est vrai que ces trois heures ont été aussi rudes qu’enrichissantes. Heureusement, la camaraderie s’est vite implantée entre nous et ce facteur a joué un rôle décisif. A cet égard, j’aimerais beaucoup que nous gardions le contact… Qu’allons-nous utiliser, chacun dans nos voies et milieux différents, d’une critique mise partiellement en place ?

– La densité que nos outils laissent entrevoir justifierait qu’on revienne, peut-être plusieurs fois, dans la Grotte…

Noémie pèse un instant la suggestion, mais tranche :

– Peut-être plutôt, chère Maria, que l’on continue à s’y exercer, mais dans d’autres lieux de formation… Parmi les sept restants, j’avoue que le Palais des Mirages m’attire… » […] « Maria s’apprête à crier « Pitié ! », par plaisanterie, mais la porte s’ouvre sur un Pilou débordant d’énergie.

Il vient de cavaler jusqu’à la Salle des Commentaires, n’ayant pas résisté à l’impatience de découvrir les premiers enregistrements. Il lui a suffi de faire défiler trois minutes la première bande, puis il s’est passé les deux premiers qui se sont risqués dans une cabine d’Essai : « Grosse moisson ! De quoi me goinfrer pour mes scénarios sur les Ombres ! ». Tout aussi désireux d’apprendre comment s’était déroulée la matinée dans la Grotte, il est reparti précipitamment vers l’ex-boulangerie pour retrouver les Aspirants, où il fonce sans délai, dès qu’il y pénètre, vers les distributeurs :

– Je n’arrive pas trop tard ? Passionnant, le heurt entre les visiteurs et nos demandes d’analyse, mais faut vraiment rectifier le tir !

Au galop, il se charge de victuailles et assène en s’asseyant :

– L’artisan maçon, celui qui se passionne pour les maquettes, je prendrai ses coordonnées. Celui-là, je vais le joindre, pas pour de la réflexion critique, mais pour notre convention. Tu vois qui, Mathieu ?

Graf lui intime d’un œil noir de se taire ; mais cette allusion obscure a débloqué les demandes en attente, que couvaient les quatre Aspirants tout en achevant de dévorer leurs plats :

– Une convention sur des maquettes ? Avec qui ?

– Pourquoi avoir juxtaposé la métaphysique avec des expositions sur les guerres, et inciter à des analyses sur des réactions ?

– Qui est membre de Chemins ? Etes-vous nombreux ?

– Vos initiations aux connaissances se limitent-elles à la métaphysique et aux sciences ?

Khriss agite les mains, pour stopper le charivari :

– Holà ! Chacun son tour, s’il vous plaît ! »


A propos de la gaffe de Pilou Brisson devant les 4 Aspirants, que supposez-vous comme réponse faite à la demande d’éclaircissement sur une «convention» ? …Par Jean-Claude Diébolt